"Parcours Croisés" - Chapitre 29

Parcours croisés – Vendredi
Chapitre 29
Annie

En arrivant chez Jérémy, j’ai tout de suite reconnu la maison. C’était là que je venais chercher du lait quand je passais des vacances chez mes grands parents. Eux aussi avaient une ferme ressemblant à celle-là, dont ma mère avait hérité, puis moi au décès de ma mère. Je l’ai vendue, ferme et champs, quand ma mère est morte ; trop de travaux, trop d’espace. Je me souviens que mon grand-père était malheureux quand il imaginait ce qui a fini par se produire : le démantèlement de toutes les propriétés patiemment accumulées, fruit de toute une vie de travail acharné. Je l’ai entendu, un jour où il parlait avec ma mère, dire qu’il considérait comme une malédiction familiale qu’il n’ait eu qu’une fille, que ma mère elle-même n’ait eu que moi comme unique. Ma mère avait ruiné tous ses espoirs de succession en quittant ses parents très jeune pour suivre mon père … un père que je n’ai jamais connu ; il l’a abandonnée quand elle est tombée enceinte ; sujet tabou dans la famille … et ne s’est jamais mariée. Il n’y a jamais eu d’homme à la maison.
Comme l’avait pressenti mon grand-père, la ferme est morte avec lui. Ma mère s’était installée dans la maison que j’occupe aujourd’hui, et avait commencé les tractations de vente avant de mourir, peu de temps après mon grand-père. J’ai gardé les maisons du village, dont j’ai confié le lotissement à une agence qui s’occupe de tout, me reversant les loyers, et vendu les terres et la ferme. Quand j’ai dit à Martina que je souhaitais trouver du travail, c’est plus par besoin de changer ma vie, de sortir de mon isolement des années écoulées, que par besoin. Je n’ai pas besoin de travailler en fait. Entre les loyers et les revenus de la vente, j’ai très largement de quoi vivre. Depuis cet héritage, je mets au pot commun du ménage l’équivalent du salaire de Marc, et c’est moi qui ai entièrement financé tous les travaux de notre maison … prudence paysanne ? Sans doute … Les rares fois où, à force de questions, ma mère m’a parlé de mon père, elle concluait par « les hommes s’en vont » … et elle retournait à son silence.


J’ai reconnu le porche d’entrée, le bâtiment de gauche, pas encore rénové : c’est là qu’était l’étable. A la place de la piscine, je revois la grande cour gravillonnée, les tracteurs … ça a tellement changé … je n’en ai rien dit à Jérémy ; une autre fois, plus tard …

Dans la piscine, j’ai poussé Véro vers Jérémy ; un peu honteuse de m’être exhibée sur la terrasse dans l’après-midi, et surtout fatiguée … pas envie … enfin, peut-être … mais pas comme ça. Il me plaît, c’est certain, mais c’est trop de choses en même temps ; Martina, Alain … et puis Marco … je ne m’y attendais pas du tout, je n’ai rien vu venir … c’est dire à quel point je ne fais plus attention à lui depuis … depuis longtemps. Il a fallu tout ça pour que je me rende compte du désert de ma vie.
Je n’ai pas eu le temps d’y réfléchir, tout va si vite depuis trois jours, mais je sais que ma décision est prise. Je ne veux pas continuer. Je ne veux plus de lui. Depuis des années je ne veux plus de lui. Quant à ce que je veux, maintenant … il me faut du temps …

Je ne me souviens que vaguement de la fin de la soirée, d’Alain me portant dans l’escalier. Je me suis réveillée la première. Martina dormait à plat ventre à côté de moi, Alain ronflait doucement dans un petit lit en face du nôtre. Je suis descendue dans la cuisine et en fouillant dans les placards, j’ai préparé une grande cafetière, beurré quelques tranches de pain de mie que j’ai tartinées de confiture. Je finissais de déjeuner quand Martina est descendue à son tour et m’a volé la tartine qui restait en m’embrassant :
- Le trou noir … j’ai dormi comme une masse, me souviens même pas de m’être couchée …
- Moi non plus, juste qu’Alain m’a portée là-haut. Je crois qu’on avait vraiment besoin d’une bonne nuit de sommeil !
Martina me regardait, le front barré d’une ride d’inquiétude :
- Ton mari rentre aujourd’hui …
- Oui … s’il faut il est déjà en train de me chercher, quelle heure il est ?
- 9h30 … Tu veux que je te ramène ?
- Non ! J’ai le temps, t’inquiète pas … moi je ne m’inquiète pas ! je sais ce que je vais faire … mais je sais pas encore comment …
- … et … tu vas faire quoi ?
- Je vais lui dire d’aller vivre ailleurs !
- Ah ! … tu ne veux pas réfléchir un peu ? … C’est … peut-être un peu rapide, non ?
- C’est sûr, il faut que je réfléchisse : à comment je le lui dis, et si c’est moi qui fait ses valises ou si je le laisse faire tout seul.
Je m’en fous un peu, remarque, mais il est assez bordélique, et je n’aime pas ça !
- T’es une drôle de fille, toi, quand même …
- Ça c’est sûr ! J’ai décidé y’a déjà … cinq ans ? Huit ans ? Que je voulais plus de lui, et j’attends de savoir qu’il me trompe pour lui dire ! Ouais, ch’uis une drôle de fille !
Je riais. De dire tout haut ce à quoi je pensais depuis hier. De la mine à la fois ébahie et inquiète de Martina :
- Mais … t’as de quoi vivre ?
- Mais oui ! Plusieurs vies, même, c’est pas un problème, t’inquiète pas !
Je me suis levée en dénouant mon paréo, et en tenant son visage à deux mains j’ai embrassé ses lèvres et léché la larme de confiture au coin de sa bouche :
- Je vais nager ! Ça m’aidera à décider si je fais ses valises ou si je le laisse se débrouiller ! Tu sais que t’as un goût d’abricot, toi ?
J’ai plongé et commencé à enchaîner les longueurs. Martina m’a suivie avec sa tasse au bord de la piscine ; elle a fait un petit signe de la main vers l’étage quand Véro a écarté les volets.

- Elle veut battre un record ?
- Non, elle réfléchit !
J’ai fini par sortir de l’eau, détendue. Véro avait des cernes noirs sous les yeux, la mine de quelqu’un qui n’a pas fermé l’œil de la nuit. Je l’ai embrassée avant de me sécher en passant mon pouce sur un cerne :
- Inutile de me dire ! C’était vachement bien !
- Martina dit que tu réfléchissais … tu fais comment chez toi ? Dans ta baignoire ?
- Je crois que c’est ça mon problème ! Il me faut une piscine !
- C’est à ça que tu réfléchissais !
- Non !
- Et alors ?
- Alors … ses chemises seront froissées !
Je me suis enveloppée dans mon paréo sans m’essuyer et j’ai pris la tasse de café que me tendais
Martina. Véro s’est tournée vers elle :
- Tu comprends de quoi elle parle, toi ?
- Oui …
- Tu décodes ?
- Elle ne touchera pas aux valises !
Véro regardait Martina, me regardait, semblant hésiter, entre se fâcher et rigoler :
- Z’êtes pas drôle !
J’ai fait un clin d’œil à Martina en lui faisant signe « non » de la tête, et j’ai demandé :
- Les garçons dorment encore ?
- Alain ronflait un peu quand je suis descendue.

- Pareil … Jérémy aussi !
- Je crois que je vais me baigner aussi, ça vaut une douche, non ? Tu montes réveiller Alain, Annie ? … qu’on te ramène avant midi, quand même …
- Je le réveille comment ?
- Un café et un câlin … qu’est-ce que t’en penses ?
Martina me souriait d’un air coquin. J’ai servi une tasse de café en regardant Martina enlever son paréo et partir vers la piscine :
- Prends ton temps, Tina, fais des longueurs …
- Toi aussi, prends ton temps !
Elle a plongé et je suis montée réveiller Alain.
J’ai croisé Jérémy sur le palier qui entrait dans la salle de bain … j’ai dû redescendre chercher un autre café pour Alain. Lui dormait encore, étendu de tout son long dans le petit lit, les pieds dans le vide. L’odeur du café, le bruit de la petite cuillère, il a ouvert un œil en s’étirant, s’est assis adossé au mur en me prenant la tasse d’une main et fourrageant sa tignasse blonde de l’autre. Je me suis assise en tailleur au pied du lit, attendant qu’il ait bu sa première gorgée. Je suis un peu pareille. Pas de discussion avant le café … ça m’énerve.
- Fait beau ?
- Oui.
- Tina ?
- Elle nage.
- Toi ?
- Ça va.
- T’ouvre un peu ?
Je suis allée ouvrir les volet ; j’ai regardé Martina nager : 20 mètres de brasse, 20 mètres sous l’eau au retour … trois fois de suite … pour quelqu’un qui dit ne pas aimer le sport … sacré souffle !
- Elle nage bien …
Alain m’avait rejointe à la fenêtre. Il me tenait par la taille d’un bras et faisait signe à Martina qui lui a répondu. Il était nu et … visiblement en forme. Il a ri en suivant mon regard :
- Fait pas attention … fais comme si t’avais rien vu …
- T’es sûr ?
J’ai pris son sexe dans une main en caressant ses fesses de l’autre :
- Ch’uis plus sûr de rien …
Il est retourné vers le lit, m’entraînant de la main. Il m’a fait asseoir entre ses jambes, adossées à son torse, et a refermé ses bras sur moi, le nez dans mes cheveux.

- Ton mari rentre ce matin … ça va aller ?
- Ça va aller …
- Bon … tu as une idée de la suite ?
- Oui, je sais ce que je veux … je sais depuis longtemps … maintenant je me bouge …
- T’as peur ?
- Non …
Je ne sais pas à quel moment je me suis mise à pleurer. Il me tenait dans ses bras et me berçait tendrement, fredonnant doucement. Je pleurais et je fermais les yeux … et puis Martina était là, à genoux au-dessus de moi et nous serrant dans ses bras, me faisant des bisous sur les yeux …
- Je suis conne, je sais même pas pourquoi je pleure …
- Moi je pleure quand je suis bien …
- Moi je ne pleure jamais …
- Menteur … le premier jour, je t’ai vu pleurer …
- … c’est vrai …
- … pour moi aussi, c’est un premier jour … et je suis bien aussi … ça doit être pour ça …
Martina a dénoué son paréo pour essuyer mes larmes :
- Qu’est-ce qu’ils sont beaux …
- Quoi ?
- Tes seins …
J’ai pris ses seins dans mes mains, glissant mes doigts dessous pour les soulever, jouer de leur masse, les presser l’un contre l’autre, regardant l’aréole brune devenir grenue, les tétons s’érigeant un peu.
- Je suis d’accord … elle a de beaux seins … si je n’avais pas deviné ça, je lui aurais même pas dit bonjour le premier jour …
- Moi c’est ton cul … tu ne trouves pas qu’il a un beau cul ?
- Je ne sais pas, je n’ai pas joué avec … je pourrais jouer avec ?
- On jouera avec tous les deux ensembles … d’accord ?
- D’acc. Je fournis les outils …
- J’allais te le demander …
- Alain ?
- Oui Annie ?
- Tu veux bien qu’on joue avec ton cul ?
Il a poussé un long soupir, feignant désespoir et résignation :
- Vous me demandez vraiment mon avis ?

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